La République et les services publics démantelés

Publié le 28 octobre 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Nicole Borvo

Le projet de loi relatif « aux responsabilités locales » est l’application concrète de la loi constitutionnelle votée en mars par la droite. Nous avions dit à l’époque que cette réforme constitutionnelle cassait l’unité de la République.
Le texte que nous allons examiner aujourd’hui le confirme : il organise la déstructuration des grands services publics nationaux, fait voler en éclats la cohésion et la solidarité nationale. Il s’agit d’un véritable changement de société.

Le gouvernement -et tout particulièrement M. RAFFARIN- avait d’ailleurs annoncé la couleur dès son arrivée.
Son projet dit de « décentralisation » était une des réformes majeures de la législature ; il entendait la mener tambour battant.
Il n’a pas osé le référendum, pourtant promis par le Président de la République. Sans doute a-t-il choisi de ne pas trop s’expliquer devant les citoyens.
D’ailleurs, à la première mise en pratique de la loi constitutionnelle, avec le référendum en Corse, ce fut « non » dans les urnes !

D’ailleurs, au printemps, avec les transferts annoncés de personnels de l’éducation nationale aux collectivités locales, ce fut « non » dans la rue !
A ces premiers revers s’est ajoutée l’inquiétude, pour ne pas dire plus, de nombreux élus, majorité comprise, qui constatent que pour l’instant, la compensation financière annoncée n’est pas au rendez-vous.

Du coup, le gouvernement fait profil bas. Son projet est discuté ici au Sénat pendant trois semaines. L’urgence n’est pas prévue et, compte tenu du calendrier, le vote final n’interviendra qu’après les élections régionales ! Donc, il persiste, mais en catimini. Surtout, pas d’enjeu pour les régionales ! Eh bien, justement, c’est un enjeu et nous voulons que les forces politiques s’expliquent sur ces transferts, que les citoyens soient informés, qu’ils donnent leur avis. Si le débat est public, si les salariés, la population s’en mêlent, les projets du gouvernement peuvent être mis en échec.

Pour notre groupe, la discussion parlementaire est surtout l’occasion de porter le débat sur la place publique. La majorité sénatoriale a déjà rendu son verdict. Elle approuve, tout en se méfiant des coûts pour les collectivités et des suppressions trop rapides de personnels de la fonction publique !
Nous, ce que nous voulons dire d’abord, c’est que la matrice de ces transferts, ce n’est pas la décentralisation, la proximité des lieux de gestion, la matrice, c’est l’ultralibéralisme.

L’OMC veut la marchandisation de toutes les activités humaines : santé, éducation, culture, services… Le gouvernement actuel, comme la plupart des pouvoirs en place en Europe, s’inscrit dans cette démarche. Or, ce qui fait obstacle dans notre pays à l’ultralibéralisme, ce sont les grands services publics nationaux, les missions de l’Etat précisément dans les domaines « marchandisables ».
Leur « décentralisation » consiste à déstructurer ces acquis. Quand ces « missions » seront de la responsabilité des collectivités, elles seront financées par des prélèvements accrus sur les populations et/ou transférées à la sphère marchande beaucoup plus facilement.

Ces transferts que le projet actuel organise s’inscrivent dans une politique globale qui va dans le même sens : baisse des recettes fiscales par tout un arsenal législatif (loi sur l’initiative économique, loi DE ROBIEN sur le logement, loi d’orientation pour la ville de M. BORLOO, loi sur le mécénat…) qui prévoit exonérations, abattements, baisse de l’ISF ; baisse de l’IR, impôt national le moins injuste ; accroissement des exonérations de charges sociales ; privatisations accélérées.

Comment ne pas voir que la privatisation de France Télécom, votée la semaine dernière par la droite, met fin au service public des télécommunications et que les investissements demain nécessaires seront à la charge des collectivités locales - qui pourront ou non ?
Comment ne pas voir que la réforme de l’UNEDIC, la baisse de l’assurance chômage, renvoient les chômeurs à l’assistance des départements, au XIXème siècle en quelque sorte ?

Comment ne pas voir que l’introduction des assurances privées dans la sécurité sociale va dans le même sens ?
C’est cette logique que nous récusons catégoriquement et nous avons vraiment l’impression que nos concitoyens la récusent aussi !

Quelques exemples de transferts proposés :
La formation professionnelle ? La région « sait » faire. Bien entendu ; il ne s’agit pas de cela ! Mais peut-on accepter que le schéma régional des formations s’élabore sans l’Etat, sans coordination avec les autres régions ? Ce sera le schéma du patronat !

Les routes ? Le projet ouvre la voie à la multiplication des péages pour financer les nouveaux ouvrages. C’est le principe de « l’utilisateur-payeur », comme dit l’exposé des motifs.
Le département est responsable de l’action sociale ? Qui paiera ? Et mon ami Robert CLEMENT peut dire ce qu’il en coûtera pour un département comme la Seine-Saint-Denis. En réalité, ce que propose le gouvernement frise « l’arnaque ».

Entre 1993 et 2002, les dépenses de RMI ont augmenté de 85%. L’augmentation des ressources qui devraient être transférées, la TIPP, a été pour la même période de 24, 33% !...
Le transfert des CROUS ? La majorité sénatoriale propose de le limiter aux communes qui le veulent. Mais n’est-ce pas un moyen rapide de s’en débarrasser ? Résidence universitaire indésirable.. Antony…
L’éducation nationale ? Le gouvernement s’acharne contre les personnels, alors même qu’il a soi-disant engagé un débat national.

La commune ? Lieu de proximité par excellence, de démocratie réelle pour les citoyens, où la démocratie participative peut s’exercer et améliorer celle représentative, elle disparaît quasiment du paysage.
Les EPCI prennent de l’ampleur, leur fusion en fera des énormes pouvoirs, loin d’être démocratiques.
Alors, rien de ce qui pourrait s’appeler décentralisation des pouvoirs, rapprochement des citoyens, démocratisation des institutions, ne figure dans ce texte.

D’ailleurs, toutes les propositions que nous avons défendues lors de la réforme constitutionnelle, de la loi organique sur l’expérimentation ou sur le référendum local, destinées à développer l’initiative citoyenne, les pouvoirs des salariés et des habitants sur la gestion des services publics ont été rejetées. Nous les reproposerons encore.
Nous défendrons contre ce texte l’exception d’irrecevabilité parce qu’il met en cause les services publics nationaux et le principe d’égalité des citoyens et de solidarité nationale.

Nous défendrons aussi un renvoi en Commission, c’est-à-dire à plus tard, parce qu’aujourd’hui, les conditions de la compensation financière des transferts, pourtant inscrite dans la Constitution, ne seront pas réunies.
La loi de Finances de 2004 n’est pas adoptée et le transfert de la TIPP ou de la taxe sur les conventions d’assurance pas encore acté et soumis à l’accord de la Commission de Bruxelles.

Voilà nos positions. Nous appelons les élus des conseils régionaux, des conseils généraux et municipaux qui nous écoutent, à saisir leurs assemblées des dangers des transferts proposés, à les mettre en débat et à se prononcer. Que chacun prenne ses responsabilités !

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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