Annoncé par Nicolas Sarkozy dans son discours d’Epinal, le 12 juillet, le comité Balladur a été chargé de travailler à une réforme des institutions, avec l’objectif de la soumettre au vote du congrès d’ici janvier 2008.
Nous avons immédiatement dénoncé le caractère non pluraliste de ce comité, composé de personnalités plutôt en accord avec la Constitution de la 5ème République et tout particulièrement avec son évolution présidentialiste.
La mission confiée au Comité Balladur :
En apparence, le Président de la République lui a confié une mission assez large : « des institutions modernisées et rééquilibrées... une autorité renouvelée de l’Etat... Nos concitoyens... attendent plus de transparence, plus de débat... ils veulent que l’action politique soit au service de l’intérêt général... ».
La réalité est tout autre : la lettre de mission encadre très strictement le rôle du comité, comme le laissait prévoir le discours d’Epinal, avec pour objectif la constitutionnalisation d’un régime hyper présidentialiste.
Les axes de réflexion confiés au comité :
Première et « principale » mission : « réfléchir à la nécessité de redéfinir les relations entre les différents membres de l’exécutif d’une part, aux moyens de rééquilibrer les rapports entre le Parlement et l’exécutif d’autre part »
Sur le premier point - clarifier les relations entre le Président de la République et le Premier ministre, le gouvernement - :
Comme le souligne Olivier Pognon, dans le Figaro du 21 septembre, « il s’agit de mettre la lettre en accord avec la pratique ». Le Président de la République entend parachever la mise en cause de l’article 20 selon lequel c’est le "Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation". Une mise en cause amorcée notamment avec l’élection au suffrage universel en 1962, le quinquennat et l’inversion du calendrier.
Cela implique, à ses yeux, qu’il puisse exposer sa politique directement devant le Parlement, certainement réuni en congrès. Le comité semble lui donner raison.
Pour parer à toute contradiction, E. Balladur propose d’aller au bout de la logique en modifiant l’article 20 : c’est le Président de la République qui déterminerait la politique de la Nation, sans pour autant être responsable devant le Parlement (il n’est responsable que devant le peuple). En conséquence, la responsabilité du Premier ministre serait supprimée et avec elle la motion de censure et le vote de confiance.
J’ajoute que E. Balladur propose que l’adhésion d’un nouvel Etat à l’Union européenne ne soit plus soumise à référendum.
Autrement dit, on aurait un Président libre de s’adresser au Parlement comme au peuple, irresponsable, mais doté du droit de dissolution et d’immenses pouvoirs.
En Grande-Bretagne, le discours du trône de la Reine est écrit par le Premier ministre ; aux USA, si c’est le Président qui fait le discours de l’Union, il n’a pas le pouvoir de dissoudre le congrès !
C’est d’ailleurs en pleine conscience du problème que N. Sarkozy propose d’assortir la fonction présidentielle de limites : limitation du nombre de mandats (2), droit de regard du Parlement sur les nominations les plus importantes (lesquelles et dans quelles conditions ?). C’est dérisoire dans la mesure où la véritable question est celle de la séparation des pouvoirs.
Droit de dissolution, présidence du Conseil des ministres, article 16, domaine réservé : toutes ces dispositions demeurent. La démocratisation n’est pas à l’ordre du jour.
C’est donc bien une « monarchie constitutionnelle » qui est en cours. C’est ce que disait Pierre Mazeaud en 1993, quant il s’opposait au quinquennat : « inévitablement la concordance avec le mandat législatif aboutirait en réalité à une nouvelle constitution qui consacrerait une monarchie présidentielle ».
Pour notre part, nous nous y sommes opposés dès la Constitution de 1958, nous prononçant pour un Président de la République garant des institutions.
Sur le deuxième point - rééquilibrer les pouvoirs du Parlement par rapport à l’exécutif :
Là encore, le Président Sarkozy tente de donner le change avec quelques évolutions qui seront de peu d’effet :
Maîtrise de l’ordre du jour, mais sans quelle proportion ?
Augmentation du nombre des commissions permanentes, avec le risque qu’elles se substituent au débat public du Parlement (c’est déjà évoqué depuis quelques années par l’UMP).
Association - et non pouvoir - du Parlement en matière de politique européenne, internationale et de défense.
Dose de proportionnelle : il serait question d’attribuer de 20 à 30 sièges de députés à la proportionnelle sur les 577 ; quant au Sénat, il n’est pas question de revenir sur le fait que la proportionnelle est désormais applicable dans les départements où il y a 4 sénateurs et non plus 3.
La suppression du 49-3 n’est pas envisagée. Le comité travaille sur l’hypothèse qu’il soit réservé aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale.
Statut de l’opposition : aucun réel pouvoir, qu’il s’agisse d’un véritable respect du pluralisme, de la juste représentation des courants politiques, de l’extension du droit à l’initiative parlementaire ou du statut de l’élu. En bref, une opposition « à sa majesté ».
Loin d’une quelconque volonté de revaloriser le rôle du Parlement, c’est à une accélération de la destruction du pouvoir parlementaire qu’on assiste, accompagnée d’une dérive inquiétante.
Depuis son élection, le Président de la République a créé toutes sortes de comités et commissions avec lesquels il entretient un lien personnel et dont il nomme seul les membres, sur des questions dont le Parlement est compétent (Comité Balladur, Commission Attali « pour la libération de la croissance française », Commission Pochard sur la revalorisation du métier d’enseignant, Commission Larcher sur l’hôpital public, Commission Ménard sur le plan Alzheimer, Grenelle de l’Environnement...) : autant d’organismes non élus, non conformes à la représentation nationale.
On s’achemine vers un Parlement qui, en réalité, n’aura plus du tout l’initiative législative - poussant à son terme une évolution déjà en marche. Il n’a déjà aucun pouvoir en matière budgétaire (cf. la lolf approuvée par un consensus PS-droite et le renforcement de l’article 40). Il serait cantonné à un rôle de contrôle, sans plus de précisions sur les moyens de ce contrôle, sauf que J.F. Copé a proposé que ce soit une commission et non le Parlement lui-même qui l’effectue.
La justice
Au nom de l’indépendance et de la responsabilité de la justice, le comité est chargé de travailler à une nouvelle composition du Conseil supérieur de la Magistrature, dont le Chef de l’Etat ne serait plus le Président et où les magistrats ne seraient plus majoritaires.
Nous sommes favorables à une telle évolution. Mais nous sommes opposés au fait que le garde des Sceaux en demeure membre, a fortiori président. Nous proposons que le président du CSM soit élu parmi ses membres.
Quant à la création d’un Procureur général de la nation, elle ne ferait qu’institutionnaliser les rapports actuels entre le pouvoir politique et la justice : intrusion permanente dans les affaires de la justice et mise sous surveillance des magistrats.
Les droits des citoyens
Ils se résumeraient au droit de saisir, dans certaines conditions, le Conseil constitutionnel.
Nous sommes favorables à une telle saisine, mais pas dans le cadre actuel. Le Conseil constitutionnel n’est pas démocratique : il faut modifier sa composition et le mode de désignation de ses membres. Cela n’est évidemment pas prévu.
De la même manière, rien sur la démocratie sociale, rien sur l’initiative législative des citoyens ou des collectivités locales, le droit de pétition (qui a disparu des discours)..., toutes propositions que, pour notre part, nous faisons. S’il y a divorce entre les citoyens et les institutions, c’est bien en raison de l’insuffisance démocratique et de participation des citoyens.
Conclusion :
Si la réforme devait être entérinée, jamais notre pays n’aura connu eu une telle concentration, une telle confusion des pouvoirs. Le Chef de l’Etat est déjà de facto et sera en droit le chef de l’exécutif, du législatif (il est le chef de la majorité parlementaire), du judiciaire (via le garde des Sceaux et le Procureur de la Nation) et des médias (il nomme le président du CSA). Aucune démocratie, qu’elle soit de type parlementaire, primo ministérielle ou présidentialiste, ne connaît une telle situation.
De plus, dans une société hypermédiatisée où la réflexion est ramenée à de petites phrases, la démocratie d’opinion se substitue au débat démocratique. Pour preuve la campagne présidentielle et l’exercice du pouvoir par Nicolas Sarkozy. Les actes font le droit !
La composition du comité Balladur et toutes les annonces sur le statut de l’opposition ont vocation à faire consensus entre l’UMP et le PS. Compte tenu de la situation à l’heure actuelle, le PS aura en effet du mal à voter en l’état une proposition émanant de N. Sarkozy et il pourrait s’abstenir au congrès. Comme le dit Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel que nous avions invité il y a deux ans à nos journées parlementaires : « Sarkozy est l’enfant de la gauche ».
Pour notre part, nous avons exprimé et exprimerons une totale opposition à cette réforme.
Je vous renvoie à notre projet d’une 6ème République qui est celui d’une démocratisation du pouvoir, son partage entre tous : démocratie participative, citoyenneté à l’entreprise, revalorisation du rôle de l’Assemblée nationale, transformation du Sénat (documents publiés en 2001 et 2005).
J’ajoute que réformer les institutions pour instaurer un régime présidentiel ne peut se faire sous la forme d’une réforme constitutionnelle décidée en congrès. Elle exige un processus constituant, un débat public, un référendum. Certes aujourd’hui, on peut penser que les citoyens seront favorables à cette réforme, mais l’omniprésence et l’omnipotence de N. Sarkozy commence à peser et à susciter des interrogations.