Intervention au Colloque international sur l’avenir et le développement des industries pétrolières, pétrochimiques et chimiques

Publié le 21 janvier 2006 à 11:17 Mise à jour le 8 avril 2015

Vendredi 20 et samedi 21 janvier, Michel Billout est intervenu au colloque international organisé au Sénat par la fédération nationale des industries chimiques CGT, avec le concours du groupe Communiste, républicain et citoyen du Sénat, sur l’avenir et le développement des industries pétrolières, pétrochimiques et chimiques.

Thème du colloque :

La dérégulation / libéralisation des marchés de l’énergie en cours de globalisation : son impact sur les coûts de l’électricité et ses conséquences sur les consommateurs.
Quelles réponses ? Quelles alternatives ?

Madame, Monsieur,

Tout d’abord, je voudrais remercier la FNIC CGT d’avoir permis par l’organisation de ce colloque de réunir des syndicalistes, des industriels, des politiques et des parlementaires afin de débattre de la politique énergétique.

Collectivement, nous devons, en effet, prendre conscience de l’urgence des enjeux de ce secteur : l’enjeu démographique au regard de la forte croissance de la consommation et l’enjeu environnemental de réduction des gazs à effet de serre.

La maîtrise de l’énergie est donc un élément clef du développement durable auquel nous exhorte tant le président de la république dans ses discours.
Pourtant, les seules politiques mises en oeuvre dans le secteur de l’énergie sont des politiques d’ouverture à la concurrence, de désengagement de l’Etat et de démantèlement des entreprises publiques.

Ces orientations sont largement réaffirmées par la directive Bolkestein qui doit être adoptée en février prochain et qui entérine la soumission au marché de toutes les activités de service, dans tous les secteurs.
L’ asservissement des secteurs de l’électricité et du gaz au libre échange et donc à la rentabilité à court terme, met les pouvoirs publics en dehors de la recherche de solution énergétiques pour la France, l’Europe et la planète.

Malgré ces lacunes évidentes, le gouvernement français applique avec un zèle tout particulier les directives européennes. Il a, en effet, entériné non seulement l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché, mais également l’ouverture du capital des entreprises publiques EDF et GDF, ainsi que celui d’AREVA.

Pourtant, cette introduction du capital privé transforme radicalement les règles de gestion de l’entreprise et leur activité, en soumettant ces entreprises au dogme de la rentabilité financière maximum.

De plus, cette évolution a de nombreuses conséquences sur les industries, notamment dans le secteur de l’acier, de la chimie, du verre, du papier, de l’automobile, de l’agro-alimentaire, fortement consommatrices d’énergies . Elles correspondent a elles seule à plus de la moitié de la demande énergétique. Par exemple, concernant le secteur de la chimie, la consommation d’électricité correspond à 40% du coût de production.

Ainsi, selon les dogmes libéraux, l’instauration de la libre concurrence dans ce secteur devait permettre, par l’arrivée de nouveaux entrants de baisser les prix et par conséquent de renforcer la compétitivité des entreprises françaises en réduisant ce poste de dépense dans leur budget.

Qu’en est-il réellement ?

La réalité est toute autre car l’entrée d’investisseurs privés dans le capital des entreprises historiques appelle nécessairement une rentabilité des capitaux investis.
Or, cette meilleure rentabilité se fait essentiellement par une hausse du tarif de la prestation pour augmenter les marges bénéficiaires.

Par exemple, en Grande Bretagne où la libéralisation est extrêmement développée, les clients industriels ont endossés des hausses de tarifs de 24 %.
En France, la fin de la régulation des tarifs par l’Etat a abouti à une augmentation notable de la facture des usagers, particuliers ou entreprises.

Ainsi, depuis le début de la déréglementation du secteur en 1999, les tarifs de GDF ont augmenté de 60% .
Les prix pratiqués par EDF vont également augmenter de 7,5% en trois ans alors que depuis 10 ans, ils baissaient régulièrement.

Pour exemple, depuis 2001, les tarifs d’électricité du secteur de la chimie électro intensive ont augmenté de 55%, sans qu’aucun élément de coût significatif n’ait particulièrement affecté le parc de production français sur cette même période.

Dans ce contexte, les industriels français de la chimie sont dans une situation particulièrement délicate, car les avantages historiques dont ils bénéficiaient grâce aux choix nationaux de politiques énergétiques et de par leurs profils de consommation à travers des tarifs adaptés, disparaissent au profit d’un nivellement par le haut des prix de l’électricité.
La hausse des prix de l’électricité entraîne donc des risques considérables pour l’industrie chimique en France.
Dans l’impossibilité de répercuter sur les prix de vente de ses produits ces hausses de prix de l’électricité, l’industrie chimique devient moins compétitive. Cette perte de compétitivité pourrait être à l’origine de fermetures temporaires ou définitives de sites français de production.

Il y a là une véritable contradiction avec l’objectif d’amélioration de la compétitivité des entreprises que doit permettre, selon ses partisans, l’ouverture à la concurrence libre et non faussée.

Deuxième conséquence de la libéralisation, par la recherche d’abaissement des coûts de production, le risque devient une dimension naturelle. Il est quantifiable : on parle maintenant de risque calculé et même de risque acceptable. Ainsi, on se trouve dans un nouveau système où le risque a un coût qu’il faut savoir évaluer pour savoir s’il est acceptable économiquement parlant ou non.
D’autre part, le changement de statut et la présence de capitaux privés dans les entreprises énergétiques appellent une transformation des règles de gestion par une rationalisation maximum des coûts.

Ainsi on peut remarquer notamment dans le domaine nucléaire que cette déréglementation du secteur énergétique s’est traduit par une dégradation effective du niveau de sûreté.

Elle tient son origine d’une gestion et d’un management tourné essentiellement vers la recherche de gains financiers.
Cela se traduit par une place grandissante de la soustraitance et la dégradation des conditions de travail et sociales des salariés.

Ainsi, depuis septembre 2005, de source syndicale, « quatre plans d’urgence internes ont été déclenchés suite à des incidents importants » dans des centrales nucléaires françaises.

Pourtant, les autorités ne peuvent tolérer que l’on transige avec les impératifs de sécurité. Il s’agit là d’une responsabilité politique qui ne peut être laisser au libre arbitre des entreprises.
Or dans une société où l’unique objectif des entreprises énergétiques est la réalisation de bénéfices, il est évident que la sécurité des installations, des personnels et des usagers n’est plus garantie par souci de rentabilité.

Troisième conséquence de la déréglementation : la rupture de la continuité du service public. Nous avons dans ce cadre de nombreux exemples des pays qui nous ont précédé sur la voie de la libéralisation de l’énergie. Par exemple, on se souvient tous des ruptures d’approvisionnement qui avait frappé l’Etat de Californie, mais également, plus près de nous, l’ Italie a été touchée par ce type d’incident.

En effet, la gestion en flux tendu ne peut aboutir qu’à des ruptures d’approvisionnement. Pourtant, cette situation est extrêmement préjudiciable pour les industries, notamment électro intensives ou de la sidérurgie.

Une nouvelle fois, on ne peut pas dire que la libéralisation du secteur amène un quelconque gain de productivité ou une compétitivité accrue pour ces entreprises car elles sont de moins en moins prémunies contre des coupures de courant.

Mais la déréglementation du secteur promet également une rupture de la continuité territoriale.
En effet, la fin du principe de péréquation implique de juger de la rentabilité de chaque prestation, pour chaque particulier, pour chaque entreprise dans le cadre du principe de la « vérité des prix ».

Ainsi, les populations et les industriels des territoires enclavés verront leur facture augmenter inévitablement, puisqu’il sera plus contraignant pour l’entreprise énergétique de leur distribuer de l’électricité.

C’est bien le fait qu’EDF soit une entreprise publique qui a permis de construire ce maillage fin du territoire qui a permis de garantir à tous une certaine égalité de l’accès à l’énergie, jusqu’à maintenant.

Cette absence de politique publique va alors se traduire pas une remise en cause de l’aménagement équilibré des territoires. RTE soumis aux mêmes impératifs de rationalisation des coûts va s’efforcer de réduire le réseau dont l’entretien demande des moyens humains et matériels qui ne font à l’heure actuelle pas parti du plan d’entreprise.

Je voudrais maintenant aborder avec vous la question de la responsabilité environnementale des industriels et des politiques en terme de consommation énergétique. Le discours tenu dans ce domaine par les pouvoirs publics est extrêmement culpabilisant et, il me semble, extrêmement réducteur.

En effet, la consommation mondiale d’énergie ne cesse de croître, et elle est également dûe au développement des pays du Sud. Ainsi, si l’on souhaite que chaque pays se développe, que les relations nord sud s’équilibrent, la question devrait être celle de la diversification des ressources énergétiques, plutôt que de la réduction de la consommation.

Or cette diversification du bouquet énergétique ne pourra se faire que par des investissement massifs en faveur de la recherche. Comment veut on alors que des entreprises privées, dont l’unique souci est de faire de l’argent investisse un centime pour le développement d’autres énergies, sans incitation forte des pouvoirs publics. Nous l’avons déjà dit, le marché ne peut penser le long terme.
Dans ce sens, les parlementaires du groupe communiste, républicain et citoyen, affirment le besoin d’une maîtrise publique de la politique énergétique.

Il s’agit également de la seule manière de remplir les engagements français de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pris lors du protocole de Kyoto.
Ainsi, nous soutenons également que seules des entreprises publiques peuvent répondre aux missions de service public d’aménagement du territoire, d’égal accès, de sécurité et d’innovation, comme nous venons de le voir.

C’est dans ce sens que nous proposons la création d’un grand service de l’énergie au niveau européen fondé non sur la concurrence qui permet l’enrichissement de quelques uns et une augmentation des tarifs pour tous, mais sur la mutualisation par des coopérations de services publics nationaux, seuls capables de réaliser les investissements nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques à venir.

La politique énergétique qui doit être mise en oeuvre doit alors permettre à la fois de répondre à la demande croissante d’énergie mais également de garantir effectivement un droit d’accès à l’énergie pour tous. Ce sont là les conditions d’un progrès de société indispensable pour le XXIème siècle.

Pour finir mon propos, la majorité des français a rejeté le 29 mai dernier le projet de constitution européenne qui se proposait de graver dans le marbre les principes de libre concurrence et de soumission au marché.
Nous avons donc besoin de construire un projet de société alternatif à celui mis en oeuvre par les institutions européennes et le gouvernement français.
Cette alternative au libéralisme, nous la rendons crédible et possible par des initiatives comme celle qui nous réunit aujourd’hui.

Je vous remercie de votre attention.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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