Monsieur le Ministre,
Un an seulement après la mise en place des juges de proximité, sans consultation préalable des organisations professionnelles ou du Conseil supérieur de la magistrature et sans qu’ait été établi un bilan de l’expérience, vous envisagez d’étendre la compétence de ces juges.
Nous y sommes pour notre part totalement opposés. Déjà, en 2002, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation de la justice et de celui organique relatif aux juges de proximité, nous nous étions prononcés contre la création de cette nouvelle institution. Elle ne pouvait, à notre sens, constituer la réponse au nécessaire rapprochement de la justice et des citoyens. Il nous paraissait plus efficace de renforcer les moyens du juge d’instance, véritable juge de proximité, plutôt que de remettre en cause sa compétence.
Nous avions exprimé nos préoccupations quant au risque de remise en cause du principe d’égalité devant la justice, quant à l’absence de garanties d’impartialité et d’indépendance.
Nous avions dénoncé des dispositions qui, pour la première fois, conféraient une compétence pénale à un juge unique non professionnel, y compris pour les mineurs, à l’encontre du principe de spécialité de la justice des mineurs.
Aujourd’hui vous proposez de porter à 4 000 euros les litiges civils relevant de la compétence du juge de proximité, d’en ouvrir la saisine aux personnes morales, comme les entreprises. Ainsi, il aurait à juger de nombreux litiges en matière de droit de la consommation sans la formation nécessaire et au risque de rupture du principe de l’égalité des citoyens devant la justice. Car l’expérience montre que, dans ce domaine, les deux parties sont rarement à égalité.
Vous proposez également, au plan pénal, qu’il siège comme assesseur dans les tribunaux correctionnels. Ils n’a pourtant aucune légitimité pour ce faire : ni celle fondée sur sa qualité de citoyen choisi par tirage au sort, comme pour les jurés, ni celle fondée sur sa compétence comme aux prud’hommes. En outre, la notion de « proximité » ne se justifie plus guère.
La sous-occupation des juges de proximité actuellement en poste ne saurait être un prétexte à une nouvelle tentative de démantèlement du service public de la justice. Elle doit par contre nous faire réfléchir sur les risques de cette institution et inciter à ce qu’un véritable bilan soit élaboré, avant toute décision.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’assurance de notre considération la plus distinguée.