Monsieur le Ministre,
Suite aux différents incidents survenus dans certaines maisons centrales, vous avez adressé aux directeurs de ces établissements pénitentiaires une circulaire dans laquelle vous leur demandez de mettre un terme à une tolérance qui permettait jusqu’à présent aux condamnés à de longues peines de circuler librement entre les cellules d’une même unité.
Or, ce dispositif dit des « portes fermées » ne va faire qu’accroître les tensions entre les détenus, entre prisonniers et surveillants, mais aussi entre les surveillants. Les conditions de détention des condamnés et de travail du personnel pénitentiaire vont encore se dégrader.
En effet, non seulement cette mesure – inefficace et désocialisante- ne va rien résoudre sur le fond, mais de surcroît elle risque d’avoir de lourdes conséquences.
Le système d’ouverture des portes évite quant à lui de laisser les détenus seuls dans leur cellule face à eux-mêmes et constitue ainsi une soupape de sécurité en donnant à ces derniers un semblant de vie sociale.
Avec votre décision, vous leur ôtez le peu de part de liberté dont ils jouissaient jusqu’ici et rompez les relations humaines qui peuvent s’installer entre détenus. Ne craignez-vous pas, dès lors, en les enfermant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de les transformer en véritables « bêtes fauves » ?
Faut-il rappeler que le régime carcéral des maisons centrales est déjà suffisamment difficile à supporter pour les personnes qui y sont détenues ?
En effet, ces établissements pénitentiaires étant généralement situés en milieu rural, donc isolés de tout, les condamnés ont accès à très peu d’activité : ils n’ont pas la possibilité de travailler faute d’entreprises implantées à proximité, ni d’accéder à un enseignement ou à des activités associatives…
En outre, étant donnée la durée de leur enfermement, bien souvent les liens familiaux qu’ils pouvaient avoir au début de leur incarcération se rompent ; les visites se raréfient.
Cette politique des portes ouvertes est donc la seule part de liberté qui leur reste.
Décider de refermer les portes des cellules toute la journée constitue, à mes yeux, un véritable retour en arrière en ce qu’elle revient, dans les faits, à restaurer les QHS, pourtant fermés par Monsieur Peyrefitte vers la fin des années 70 suite à des mouvements de révolte des détenus.
S’il peut s’avérer – j’en conviens aisément – difficile de gérer des détenus condamnés à de longues peines, cela s’explique aussi parce qu’ils ne peuvent compter sur aucun aménagement de peine et n’ont donc aucune perspective – même lointaine – de libération.
Les seules dispositions qui permettent à ces détenus de voir leur durée d’enfermement diminuer sont la réduction de peine et les grâces collectives accordées chaque année. Or ces mesures sont les moins individualisées et ne peuvent donc pas s’inscrire dans le cadre d’un projet de réinsertion.
Sans oublier que, bien souvent, compte tenu de la nature de l’infraction commise et des périodes de sûreté prononcées, ils sont généralement exclus des grâces collectives.
Il est faux par ailleurs de penser qu’en enfermant plus longtemps les gens, on protège mieux la société. C’est plutôt l’inverse qui se produit.
En effet, rappelons que 40% des détenus en centrale récidivent à leur sortie lorsqu’ils ont effectué la totalité de leur peine. Ils ne sont que 10% à le faire lorsqu’ils sortent à mi-peine avec des mesures d’accompagnement.
On le voit, l’enfermement pur ne sert à rien. C’est malheureusement la voie que vous suivez. J’y vois, pour ma part, un aveu d’échec de votre politique pénale et carcérale.
En effet, chaque fois que vous évoquez la question des prisons, c’est toujours d’un point de vue sécuritaire. Votre plan de sécurisation en témoigne tout comme votre volonté de regrouper les détenus selon leur dangerosité.
Le plan de fermeture des portes est une autre mesure symptomatique de votre politique pénitentiaire - d’ailleurs sévèrement critiquée par l’OIP dans son rapport 2003 - uniquement centrée sur la sécurité et négligeant la réinsertion qui est pourtant l’autre mission, et non la moindre, de l’administration pénitentiaire.
Dans ces conditions, je vous saurais gré, Monsieur le Ministre, de bien vouloir reconsidérer votre décision de supprimer la parcelle de liberté accordée jusqu’à présent aux condamnés à de longues peines ; décision qui risque d’embraser le milieu carcéral.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma considération distinguée.
Réponse du Ministre de la Justice (14/01/04) :
Monsieur le Sénateur,
Vous avez bien voulu appeler mon attention sur les récents événements survenus dans les maisons centrales (tentative d’évasion centrale à la maison centrale d’Arles, mutineries successives sur la maison centrale de Clairvaux, incidents à la maison centrale de Moulins) qui illustrent la nature des risques
auxquels ces établissements pénitentiaires se trouvent confrontés.
Le contexte actuel d’accroissement régulier du nombre de condamnés issus du grand banditisme et des différentes mouvances terroristes est un phénomène préoccupant. Il ne s’agit néanmoins pas du seul facteur de fragilisation des maisons centrales.
Les divergences de règles de fonctionnement d’une maison centrale à l’autre, constatées à l’occasion des missions de l’inspection et des audits de sécurité de la brigade de sécurité pénitentiaire, sont utilisées par certains détenus pour assurer leur maîtrise sur d’autres plus faibles et plus vulnérables.
L’ouverture des portes de cellules est l’une de ces pratiques qui non seulement contribuent à fragiliser considérablement l’autorité des personnels pénitentiaires mais encore mettent en jeu la notion de sécurité collective au sein d’une centrale.
Il est donc devenu indispensable en ce qui concerne les maisons centrales de restaurer des règles de fonctionnememnt communes permettant la prise en charge des détenus les plus dangereux tout en garantissant la sécurité des personnels et des détenus.
Il importe enfin de souligner que le respect des portes de cellules fermées au sein des maisons centrales n’ôte pas pour autant l’accès des détenus qui y sont incarcérés au travail, aux formations ou aux activités sportives et socio-éducatives. Les détenus ne sont donc pas enfermés toute la journée mais peuvent au contraire organiser leur journée en participant aux différentes activités.
Je vous prie de croire, Monsieur le Sénateur, à l’assurance de ma considération distinguée.