Adhésion de la Turquie à l’Europe

Publié le 30 avril 2004 à 15:25 Mise à jour le 8 avril 2015

Le rapport de la Turquie à l’Europe, de son adhésion à l’Union Européenne, sont sujets, comme nous le savons, à de nombreuses controverses, polémiques et autres volte-face qui ne participent pas à clarifier le débat.
Pour m’être mobilisé sans compter pour obtenir du Sénat la reconnaissance du génocide arménien de 1915 par la Turquie Ottomane et lutter aujourd’hui contre les thèses négationnistes et révisionnistes qui sont autant d’outrages pour les victimes, les rescapés et leurs descendants ; je sais très bien ce que peut signifier un tel débat pour les français d’origine Arménienne. Et combien ce sujet est douloureux pour eux.
Pour autant, la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, nous le savons, n’est pas inopinée puisque cela fait maintenant de nombreuses années que les dirigeants européens en parlent.

Dès 1963, la question était soulevée (signature d’un Accord d’Association)
En 1987, date de la candidature officielle, le Parlement européen adoptait une Résolution qui fixait les conditions préalables indispensables, notamment celle de la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie.

Etant entendu, que tant que cette première étape ne sera pas effective, il n’est pas question pour moi d’envisager plus avant cette adhésion.

La deuxième condition que nous rajoutons est celle de la levée du blocus turc sur l’Arménie.

Sur la base de ces postulats, il convient d’ajouter le règlement du problème kurde (qui ne concerne pas que la seule Turquie).
Enfin, reste le problème de la République de Chypre. Le plan de réunification de l’île, défendu par Kofi ANNAN, qui prévoyait la création d’un Etat inspiré du modèle suisse, c’est-à-dire composé de deux Etats Constituants avec restitution d’une partie des terres aux chypriotes grecs (7%, soit 800 000 hectares où se réinstalleraient 130 000 réfugiés chypriotes grecs chassés en 1974), ayant été refusé par les chypriotes grecs le 24 avril dernier, seule la partie grecque est membre depuis 1er mai de l’Union européenne. Se pose donc la question du devenir de la partie turque de l’île, consécutive à l’invasion militaire de 1974, où sont établis 200 000 turcs, dont 35 000 soldats et près de 100 000 colons venus d’Anatolie. Proclamée en 1983, la République turque de Chypre du Nord n’est soutenue, à ce jour, que par la seule Turquie, laquelle assure 45 % du budget de la RTCN. Elle subit en effet un embargo économique international.
C’est une Chypre amputée d’une partie de son territoire qui est entrée dans l’Union européenne or il faudra bien que cette situation connaisse demain une issue.

Quels sont les délais ?
Nous sommes aujourd’hui dans ce qu’il faut appeler un processus de pré-adhésion.
Le Conseil européen de Copenhague de décembre 2002 a décidé de procéder à un examen de la candidature de la Turquie en décembre 2004 et d’ouvrir sans délai les négociations d’adhésion de cette dernière dès lors que les Etats membres jugent qu’elle satisfait aux critères.

Dans le but de préparer cette échéance, un partenariat d’adhésion, révisé et renforcé, a été adopté. Il comprend, notamment, un accord de réadmission (non encore conclu), l’élargissement de l’union douanière aux services et aux marchés publics et la participation de la Turquie aux programmes et agences communautaires.
De plus, l’aide de pré-adhésion a été à nouveau fortement augmentée et portée à plus d’un milliard d’euros entre 2003 et 2006. Cette aide annuelle passera progressivement de 250 millions d’euros en 2004 à 500 millions d’euros en 2006.

Que représente la résolution de 1987 ? Quel est son poids au sein de ce processus ?
Elle est à la fois hors processus et dans le même temps elle est une référence, un engagement politique pris à l’époque par les 10 pays qui composaient la C.E.E.

Plus généralement, cette adhésion pose le problème de l’Europe que nous voulons et de son élargissement. L’Europe a-t-elle vocation à s’étendre de « l’Atlantique à l’Oural » selon la formule du Général DE GAULLE ? Le Bosphore constitue-t-il les limites maritimes de l’Union Européenne, laquelle compte depuis le 1er mai 25 pays et prend une dimension qui, avec raison, effraie.

Plus le nombre de Nations qui la composent est important plus la diversité est manifeste et plus les repères géopolitiques sont difficiles à cerner. Le problème de sa cohérence est donc posé.

En s’élargissant vers l’Est avec 10 nouveaux pays, l’Union européenne accentue, au moins à court terme, le fossé avec le Sud avec le risque de ne pas enrayer la dérive des pays de la rive Sud de la Méditerranée vers la pauvreté et l’instabilité qui alimentent l’insécurité, l’humiliation et le désespoir. Le tout forme, comme on le sait, un terreau où le terrorisme peut se nourrir.
Que reste-t-il de l’importante conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui s’est tenue en 1995 à Barcelone et qui avait soulevé tant d’espoirs ?

Critères et processus d’adhésion
Le Conseil européen de Copenhague de juin 1993 a définit les critères auxquels les pays candidats doivent satisfaire avant leur adhésion.
Ils concernent :
 L’existence d’institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection (critères politiques).
Critères qui sont loin d’être respectés aujourd’hui du fait de l’influence des militaires dans la vie politique, des pratiques de torture, des atteintes aux droits de l’homme et aux droits des minorités, comme ceux des Kurdes qui sont bafoués, ou encore la difficile liberté de culte des minorités chrétiennes.
 L’existence d’une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’U.E (critères économiques)
 La capacité du pays candidat à assumer les obligations de l’Union, notamment de souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire (critère défini par le Pacte de stabilité et le rôle de la Banque Centrale Européenne)
Pacte de stabilité budgétaire qui protège la BCE des demandes populaires, jugées incompatibles avec les besoins de rendement financier des groupes.

Autrement dit, toute la question est de savoir comment voit-on l’Europe de demain ?
Quelles seront ses frontières ? L’Europe de demain peut-elle être seulement économique, marchande ou financière ? Quid de la dimension sociale, culturelle ? Faut-il une politique étrangère ? Une Défense commune ? Qu’advient-il de l’OTAN ? Quelle démocratisation des Institutions européennes ?
N’oublions pas que la construction européenne se veut, autour d’un projet commun mobilisateur, porteuse de paix et de progrès social.

Et que penser des contours avancés par certains leaders politiques de droite d’une « Europe chrétienne » ?
Réfuter l’adhésion de la Turquie au motif que la confession du pays est musulmane, comme j’ai pu le lire ou l’entendre, ne peut être pour moi un argument acceptable, et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, et jusqu’à preuve du contraire, l’objectif de la construction européenne n’a jamais été de fédérer un « club des chrétiens » pour reprendre la formule de l’ancien Chancelier allemand KOHL (CDU-CSU). N’oublions pas que l’Islam est la 2ème religion de France et que 20 millions de musulmans vivent aujourd’hui dans l’U.E.

D’autre part, l’UE est constituée d’un ensemble de Nations liées entre elles par des traités et des institutions séculières garantissant et préservant les Droits des communautés religieuses. Droits que l’on retrouve dans le projet de Constitution Européenne.
Parler d’une Europe Chrétienne, c’est donner des arguments aux fondamentalistes et aux intégristes qui cherchent à couper les musulmans du reste de la population. C’est les pousser dans les mains de prédicateurs obscurantistes et donc, dangereux. Et, c’est pour pouvoir mieux occulter le débat de fond sur l’Europe.

Synthèse des interventions de Robert BRET lors de plusieurs débats organisés à Marseille, notamment par la JAF ou le CCAF.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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